Du changement de système, appliqué à l'éducation

Dans le cadre du festival du « Printemps libertaire » à Lyon, une discussion autour des dites « pédagogies émancipatrices » a amené à se questionner sur le choix école publique – écoles alternatives et sur l'avenir de l'éducation (nationale notamment).

                                                   

 

 

Le 6 avril 2019, dans le cadre du « Printemps libertaire », avait lieu à la librairie La Gryffe, à Lyon, une discussion autour des dites « pédagogies émancipatrices ». Trois enseignants de l'éducation nationale intervenaient pour présenter leurs pratiques, inspirées des pédagogies Freinet et institutionnelle, et montrer ainsi à voir au public nombreux les très belles choses qu'ils accomplissent au quotidien. Cela apparaissait d'autant plus remarquable qu'ils exercent souvent dans des contextes professionnels particulièrement défavorables à ce type de méthodes. Les limitations à leurs pratiques et le poids de l'institution, renforcés par les réformes à venir, ont d'ailleurs été particulièrement présents dans leurs interventions, qu'il s'agisse de la difficulté à travailler en multi-âges ou à s'affranchir des programmes ou de la notation.

 

Partant de ces limites à la liberté pédagogique, et faisant suite à l'évocation, par l'une des intervenantes, des enseignants-désobéisseurs de l'éducation nationale et plus largement des luttes, notamment syndicales, en son sein, une question a émergé. Elle a porté sur la véritable possibilité de faire changer la machine Education nationale au point qu'elle permette une véritable et entière liberté pédagogique. Les intervenants ont avoué leur total pessimisme quant à cette perspective, opinant que cette machine était par construction une « machine de destruction massive » en termes de pédagogie et d'émancipation, et qu'elle le serait donc à jamais.

 

Puis, devant l'évocation par une puis plusieurs personnes du public des écoles hors contrats, les intervenants ont défendu fermement leur attachement à l'école publique et gratuite, et rejeté tout aussi fermement ces écoles hors contrats du simple fait qu'elles soient bien plus difficile d'accès financièrement que l'école publique. Ils ont notamment pointé l'impossible mixité sociale due au fait que ces écoles ne puissent être peuplées que d'enfants dont les familles bénéficient d'une « possibilité de choix », alors que l'apprentissage de la vie en société nécessiterait de pouvoir coexister au quotidien avec tout le monde.

 

Pour penser cette question très vite tranchée lors de cette discussion, avec un assentiment quasi général du public, qu'il nous soit permis d'utiliser ici une analogie, qui vaudra ce qu'elle vaudra mais qui espérons-le pourrait amener un peu de pensée critique sur le sujet.

 

Si demain nous avions une politique agricole qui subventionnait massivement l'agriculture intensive, productiviste et destructrice des écosystèmes, et qui refusait de le faire pour l'agriculture biologique (qui comprend en son sein une variété de pratiques, agro-écologie ou permaculture par exemple), cela serait le meilleur moyen d'éviter une expansion trop rapide de ce type de pratiques, le meilleur donc pour s'assurer de la prééminence pour encore un bon nombre d'années de l'agriculture conventionnelle. En effet, les agriculteurs bio auraient plus de difficultés à faire naître leurs exploitations, à vivre dignement de leur métier, et à offrir les fruits de leur travail au même prix (subventionné) que leurs homologues pollueurs. Mais le prix plus élevé de leurs produits, dès lors réservés à ceux ayant une « possibilité de choix »1 et considérant leur alimentation et le modèle agricole comme une priorité justifiant ce choix, doit-il amener à rejeter le développement de l'agriculture biologique ? Doit-il nous amener à préférer l'agriculture polluante et polluée, en espérant tomber ici ou là sur des producteurs tentant tant bien que mal de réduire les entrants tout en acceptant la logique du modèle productiviste, ultra-mécanisé et destructeur des écosystèmes ?

 

Le non-financement des écoles refusant de négocier leur liberté pédagogique et d'abdiquer leur résistance vis-à-vis des logiques politiques et idéologiques de l'éducation de masse et productiviste de l'Education nationale, peut-il être pensé comme le meilleur moyen d'assurer l'hégémonie de celle-ci et d'étouffer le développement d'autres pratiques (émancipatrices en l’occurrence) ? Et si l'on est convaincu de l'impossibilité de rendre l'Education nationale émancipatrice, est-il pertinent de rejeter d'un revers de main les écoles émancipatrices2 du fait des conséquences (« leur coût ») de leur blocage par l'Etat (leur non-financement) ?

Serait-il intéressant de considérer ce réseau d'écoles hors contrat comme un point de pression, comme un atout pour engager un rapport de force visant par exemple à la diversité et à la liberté pédagogique au sein de l'Education nationale ? Pourrait-on envisager que le développement, malgré les obstacles, des écoles hors contrat à pédagogies « émancipatrices » soit posé comme traduisant une véritable volonté populaire qui mériterait de voir l'Etat forcé de financer ces écoles de la même manière qu'il le fait pour l'école publique actuelle ?

 

Ce sont là quelques questionnements plutôt que des réponses mais qui, on l'espère, amènent un peu de complexité quant à cette thématique, plutôt qu'une simplification de la pensée telle que celle à laquelle on a assisté et qui, pour le coup, nous a semblé bien peu émancipatrice.
 

 

1 Il est à noter ici que les raisons de ces choix ne sont pas seulement financières, loin s'en faut, les marchés bio voyant une population bien plus diversifiée en termes de revenus que ce qui est trop souvent dit, tout comme les écoles hors contrat d'ailleurs.

2 Notons ici que l'un des intervenants a avoué sans mal qu'il trouvait « formidable » ce qui se faisant des certaines écoles hors contrat en termes pédagogiques... mais que leur coût ne pouvait en faire que de mauvaises solutions.

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